Pleins feux sur la taxe Zucman
Chronique mensuelle pour Rethinking Economics Geneva. Publié dans le quotidien Le Courrier
Andjela Veličković
10/7/20253 min read


Le spectre du fisc ne cesse de faire paniquer les plus grandes fortunes de France. La taxe proposée par l’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’Ecole d’économie de Paris et à l’université de Berkeley, vise à instaurer un impôt de 2% sur les foyers fiscaux supérieurs à 100 millions. Cet impôt permettrait une rentrée fiscale de 20 milliards d’euros par an, selon son initiateur. Une proposition qui intervient alors que l’ancien premier ministre François Bayrou prévoyait de faire 44 milliards d’économies pour combler le déficit du pays.
D’abord acceptée par l’Assemblée nationale, elle a été refusée par le Sénat et continue d’alimenter le débat autour de la taxation des contribuables les plus aisés. Du côté des principaux concernés, une certaine fébrilité se fait sentir: tandis que le patron du Medef, Patrick Martin, affirme refuser de «danser la Zucmania», Bernard Arnault, PDG de LVMH et deuxième fortune de France, prédit sur X l’effondrement de l’économie française.
S’agit-il bien d’une tentative délibérée de mettre les plus riches à genoux, comme aiment à le caricaturer ses opposants, ou fait-elle partie des pistes crédibles pour réduire le déficit national? D’autant que la taxation du patrimoine est désormais soutenue par des institutions comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, et que sept prix Nobel d’économie ont rallié sa cause. Voici un aperçu des éléments qui structurent le débat.
L’argument principal des opposants repose sur l’exil fiscal: acculés, les principaux concernés s’expatrieraient vers des destinations avec une fiscalité moins contraignante, telles que le Luxembourg ou la Suisse. L’économiste Camille Landais souligne que l’on observe bel et bien ce phénomène, bien qu’il reste marginal. Au micro de France Inter, M. Zucman affirme en revanche qu’au vu de leur faible contribution actuelle, la perte de recettes fiscales serait négligeable. Et quand bien même ce serait le cas, la France impose déjà une «exit tax» à ses anciens contribuables: toute richesse créée ou obtenue sur le territoire demeure imposable, même après un départ.
En plus de nouvelles recettes fiscales, la taxe Zucman vise à rétablir une justice fiscale, alors qu’une poignée de foyers fiscaux concentrent une part grandissante des richesses depuis le milieu des années 19801. En outre, les contribuables les plus riches paient moins d’impôts – y compris sur le revenu – proportionnellement aux autres Français, selon une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP)2. La logique progressive de la fiscalité cesse de s’appliquer une fois atteint le sommet de la distribution, au-delà du top 0,1% des contribuables les plus fortunés.
Par ailleurs, la richesse, en tant que stock d’actifs, n’est pas un facteur productif: elle correspond à des avoirs déjà accumulés et retirés du circuit de production. Il convient de la distinguer de l’épargne, qui a une fonction productive lorsqu’elle est investie dans du capital – contribuant ainsi à la création de valeur – ou une fonction spéculative – sous forme de placement sur les marchés financiers.
Enfin, une certaine justice fiscale permettrait de compenser la concentration de richesses, qui est indissociable d’une réalité bien moins connue: cette concentration est la conséquence directe de l’augmentation de la part du capital. Dans une entreprise, on distingue deux facteurs de production: le travail et le capital. Chacun reçoit un revenu correspondant à la valeur qu’il a contribué à créer, à savoir la valeur ajoutée. Au cours des dernières décennies, la part du revenu allant au capital n’a cessé d’augmenter. En termes de pourcentages, la part du revenu du travail a donc, en contrepartie, diminué.
Une taxe sur la fortune permettrait de compenser les conséquences directes de ce phénomène, également observé dans la plupart des économies occidentales, qui contribue à l’accroissement des inégalités. L’impôt sur le patrimoine apparaît de plus en plus comme une source de recettes fiscales viable, un moyen de réduire les inégalités, et obtient un large soutien au sein des institutions, du milieu académique et de l’opinion publique. Le cas français pourrait ainsi marquer la fin de plusieurs décennies de cadeaux fiscaux aux plus riches.
1> World Inequality Data Base. Wealth Inequality, France, 1807-2023; https://wid.world/country/france/↑2> Institut des politiques publiques, 2023, Note n°92, «Quels impôts les milliardaires paient-ils?», www.ipp.eu/publication/16253/
↑2> Institut des politiques publiques, 2023, Note n°92, «Quels impôts les milliardaires paient-ils?», www.ipp.eu/publication/16253/
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